1. Deux voies vers lesprit

Il y a deux points de départs possibles pour une étude de lesprit :

1. lintrospection

2. le comportement

Lintrospection est le point de départ le plus naturel : si lon demande à une personne quelle est la preuve la plus probante de la présence des esprits, elle pointera vers ses propres états mentaux : ses douleurs, pensées, peurs, croyances, désirs, etc. Cette perspective, quon nomme " à la première personne " ou " autophénoménologie ", possède cependant un défaut majeur en ce qui concerne létude de lesprit : le solipsisme.

Tout ce dont notre interlocuteur est assuré, cest quil possède un esprit. Il na aucune preuve que quiconque dautre en a un. Une étude de lesprit à la première personne doit nécessairement se limiter à létude dun esprit (celui de la personne qui fait létude). Comment alors étudier lesprit ?

Si nous demandions à notre interlocuteur non pas de prouver hors de tout doute que nous possédons un esprit mais simplement de nous donner sa meilleure preuve que nous en avons un, il pointera probablement vers nos comportements : le fait que nous ferions en gros les mêmes grimaces que lui sil nous donne un coup de marteau sur le pouce, etc.

2. Lesprit : boite noire ou opaque ?

Puisque la recherche de certitude en ce qui concerne lesprit conduit au solipsisme et à limpossibilité de dire quoi que ce soit de général sur lesprit, il vaut mieux se contenter dune évidence moins forte mais qui permet elle de parler en général de lesprit. Rares sont cependant les occasions où nous apprécions véritablement notre virtuosité dans laccomplissement dactions complexes ou dans la compréhension spontanée de celles dautrui. Notre capacité de prédire avec succès les gestes de nos semblables est si naturelle que lidée ne nous vient pas que les choses pourraient se passer autrement. La philosophe de laction a néanmoins tenté de lever le voile sur les conditions que nous appliquons pour prédire le comportement dautrui. Puisque celle-ci sest dabord inscrite en faux contre la conception behavioriste de lexplication du comportement, commençons par quelques remarques sur cette conception de lesprit.

Sur la base de travaux comme ceux de Pavlov, Watson, qui est à lorigine de ce mouvement, rejette le contenu de la psychologie introspectionniste du XIXe siècle et définit la psychologie comme une science dont le contenu empirique se limit à létude du comportement observable. De là le schéma que lon doit à Watson et qui représente lesprit comme une boite noire :

 

Le béhaviorisme sest complexifié depuis Watson, notamment suite à lintroduction par Skinner de formes complexes de conditionnement opérant, mais la tâche première de cette psychologie demeure la prédiction des réponses (décrites en termes physiques) dun agent à partir de certains stimuli (décrits en termes physiques).

La philosophie de laction a fait valoir contre le behaviorisme quon ne peut se dispenser des phénomènes et mécanismes internes ou, plus généralement, du mental dans la description et lexplication du comportement.
  3. La structure de la psychologie du sens commun

1. Parce quelle conduit au solipsisme, nous avons rejeté la perspective de la première personne tout comme lintrospection des états mentaux et avons opté pour lobservation du comportement.

2. Mais la simple observation du comportement nest pas suffisante car elle ne permet pas de déterminer comment les stimuli sont interprétés par les agents.

3. Mais comment dépasser lobservation du comportement sans retourner à lintrospection ?

La réponse, selon les philosophes de laction, se trouve du côté de lexplication de laction et du syllogisme pratique dAristote. Georg von Wright a montré que le syllogisme pratique peut servir de schème de description et dexplication de laction rationnelle. Il a de plus lavantage dintroduire les éléments essentiels de la philosophie de lesprit sans présupposer rien dautre au départ que lobservation du comportement. La structure formelle la plus simple du syllogisme est la suivante :

1. A désire [veut, vise] P

2. A croit [sait] quil atteindra P sil fait C

----------

3. A entreprend de faire C

Pour reprendre la question classique de Wittgenstein : "  Que doit-on ajouter à mon bras qui lève pour en faire laction de lever le bras ? " Soit les trois énoncés suivants :

    Les muscles du bras de Wittgenstein se contractent

    Le bras de Wittgenstein se lève ;

    Wittgenstein lève son bras.

Seul le troisième énoncé peut sinscrire dans le cadre dun syllogisme pratique. Soit :
    Wittgenstein désire connaître lheure.

    Wittgenstein croit que regarder sa montre est un moyen approprié pour connaître lheure et que lever son bras est un moyen approprié pour regarder sa montre.

       ----------

    3. Wittgenstein lève son bras.

Remarquez la structure du syllogisme :

Lagent demeure constant

Il y a une triade désir-croyance-action

La croyance met en relation laction et le désir comme moyen à une fin : A croit que laction C amènera la réalisation du désir P.

Pour distinguer un mouvement qui est une action dun mouvement qui nen est pas une, il faut donc déjà présupposer des croyances et des désirs.

Mais ce nest pas tout. Imaginez que nous soyons devant un syllogisme incohérent :
A désire que P Paul désire garder la santé
A croit quil atteindra P sil fait C Paul croit que fumer est néfaste pour la santé
------ ------
A fait B Paul sallume une cigarette

Est-ce que fumer est une action ou quelque chose que Paul subit ? Si nous ne réussisons pas à identifier une croyance (de Paul) où fumer est un moyen pour atteindre un but, alors il faudra admettre que le comportement de Paul est un automatisme, quil est causé par une dépendance à une drogue, etc. en tout cas quil nest pas causé par ses croyances et désirs. Lorsquon cherche ainsi à déterminer sil existe des croyances où fumer est un moyen pour atteindre un but ou un désir, on cherche à restituer la cohérence du syllogisme, cest-à-dire on cherche à préserver la rationalité de lagent.

Doù le troisième caractère présupposé par notre schème : la rationalité.

Il existe une autre façon de restituer la cohérence du syllogisme. On peut dire que le désir de Paul (garder la santé) nest pas actif chez Paul lorsquil sallume une cigarette, cest-à-dire quil ny pense pas à ce moment, bref que son désir nest pas conscient au moment de laction. On introduit ainsi une différence entre des croyances conscientes et effectives dans la production de laction et des croyances qui ne le sont pas et doivent être ramenées à la conscience pour avoir une efficience causale.

Nous reviendrons sur la conscience au 12e et 13e cours mais notons simplement pour linstant que la conscience est aussi présupposée par lapplication de notre schème.

Les croyances et les désirs ont une propriété très spéciale : ils sont dirigés vers quelque chose : les désirs sont à propos de quelque chose (connaître lheure, gagner la loterie, etc.) et les croyances aussi (on croit quil neige dehors, que Lucien Bouchard est premier ministre, etc.).

Tous les objets ne possèdent pas cette propriété. Les marmites ne sont pas dirigés vers quoi que ce soit. Mais dautres objets lont :

POMME

Lintentionnalité désigne cette propriété fondamentale dun acte dêtre à propos de quelque chose, dêtre dirigé vers quelque chose. On dira ainsi dun acte de perception quil est à propos de lobjet perçu, dun jugement quil est à propos de lobjet jugé, etc. Le terme intentionnalité dérive du terme verbe latin intendo qui signifie " pointer vers ", " se diriger vers " ou " sétendre en direction de ". Lidée dintentionnalité cest donc simplement lidée de directionnalité.

Un problème apparaît cependant lorsquon applique cette définition de lintentionnalité aux phénomènes psychiques, et quon note, et cest un lieu commun, quon peut penser, croire, etc., à des choses qui nexistent pas : Comment donc un phénomène psychique peut-il tendre vers quelque chose qui nexiste pas ? Comment peut-il est dirigé un objet non-existant, vers le non-être. Il est désormais convenu de nommer ce problème, qui le problème principal soulevé par la notion dintentionnalité, le " problème de Brentano ".

Il faut enfin souligner une autre caractéristique de lintentionnalité qui est fondamentale au fonctionnement du syllogisme : lintensionnalité (avec-un-s). Lintensionnalité soppose à lextensionnalité et lextensionalité est une propriété des langages quon identifie à lapplication de deux principes dinférence : la généralisation existentielle et la substitution des identiques :

(1) (2)
Généralisation existentielle Substitution des identiques
F(a) F(a)
--- a = b
($ x) F(x) ---
  F(b)

Par définition, ces principes dinférence valent dans tous les langages extensionnels, et on peut par conséquent les utiliser pour tester lextensionnalité dun langage. Par lapplication dun tel test, on peut voir que certains fragments du français sont extensionnels. Par exemple, les inférences suivantes :

 
(1)
(2)
Généralisation existentielle Substitution des identiques
Sacramento est une ville Il fait chaud à Sacramento
--- Sacramento est la capitale de la Californie
Il existe une ville ---
  Il fait chaud dans la capitale de la Californie

sont valides en ce sens que leur conclusion est nécessairement vraie si leur(s) prémisse(s) est (sont) vraie(s). Mais on peut aussi observer que dautres ne le sont pas. Par exemple :
(1) (2)
Généralisation existentielle Substitution des identiques
Simon croit que le père Noël vole avec son traîneau Simon croit que papa est gentil
----------------------------------------- Papa est le bourreau
Il existe une personne qui vole avec son traîneau -------------------------
  Simon croit que le bourreau est gentil.

Ces énoncés ne sont pas extensionnels parce les principes ne sont plus valides (car Simon peut fort bien croire des choses au sujet dobjets qui nexistent pas et peut ne pas savoir que papa est le bourreau). On qualifie ces énoncés " dintensionnels " et on nomme la caractéristique logique associée " intensionnalité ". Léchec des principes montre que :

    des choses ou situations qui nexistent pas peuvent motiver un comportement.

    nous pouvons porter des attitudes envers des objets une sous une description (mode de présentation) mais pas sur une autre.

Nous reviendrons en détail sur cette question lorsque nous analyserons les problèmes que lintentionnalité pose à la conception fonctionnaliste de lesprit (cours 7 à 11)

Il suffit de retenir ici que le syllogisme présuppose lintentionnalité en tant que directionnalité de même que lintensionnalité marquant une certaine dissociation entre les pensées et les choses.

4. Conclusion

Avec ses concepts et propriétés, cette psychologie représente la matière première de l'étude philosophique de l'esprit. Deux types de questions philosophiques se posent dès lors quon accepte ce cadre et le concept desprit quil contient :

Une réponse à ces questions épistémologiques et ontologiques constitue ce que nous nommerons dorénavant " une conception de lesprit ". Un des objectifs du cours sera dapprécier à quel point il est difficile de construire une conception cohérente de lesprit.
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