Dualisme et behaviorisme

(Résumé #3, 2 février 2000)

PHI-1635, Philosophie de lesprit, Université de Montréal

1. Dualisme

Le syllogisme pratique se distingue radicalement du syllogisme théorique tant sur le plan logique quépistémologique. Une proposition radicale, mais aussi très naturelle, expliquera ces caractéristiques logiques et épistémologiques spéciales en disant que les éléments du syllogisme réfèrent à des objets (états, événements) constitués dune substance radicalement différente de celle qui constitue les objets physiques.

Ce fut la proposition de René Descartes (1596-1650). Descartes était un brillant philosophe et mathématicien et fut lun des fondateurs de lépoque moderne en philosophie. Mais il est plus important pour nous ici de noter que Descartes était aussi un brillant physiologiste, au fait des théories récentes théories dans le domaine. Comment alors cette matière quil connaissait bien, et dont il connaissait les modes dinteraction, ayant ainsi étudié la transmission du signal nerveux, peut-elle donner naissance à des éléments pouvant sinsérer dans le syllogisme pratique ?

Dune manière générale, Descartes a vu trois types de différences entre la matière et lesprit. Le corps est (1) étendu, (2) public et (3) possède des qualités matérielles alors que lesprit est (1) non-étendu, (2) privé et (3) possède des qualités mentales.

Largument de Descartes pour établir, à partir de ces propriétés, un dualisme entre le mental et le physique est fameux, et il vaut la peine de sy attarder. Dans ses Méditations métaphysiques, Descartes justifie lexistence de lego sum puis de la res cogitans au moyen dun argument fameux dont la validité est encore questionnée aujourdhui. Il sagit dun argument fondé sur une possibilité épistémologique:

On reproche en outre à cet argument de tirer une conclusion ontologique (lindépendance de la chose pensante et de la chose étendue) sur la base des propriétés épistémologiques qui figurent dans les prémisses (ce qui peut ou non être conçu en toute cohérence, avec clarté et distinction).

Selon Descartes lesprit est (Van Gelder 1995: 59-62) :

La plus controversée de toutes ces caractéristiques, et ce même à lépoque de Descartes, est le dualisme ontologique posé à la thèse 3. Trois problèmes se posent tout de suite : Le rejet du dualisme ontologique ne signifie pas le rejet entier de la conception cartésienne de lesprit : celle-ci est encore bien vivante et opératoire dans les conceptions plus contemporaines de lesprit. Lensemble des projets matérialistes que nous analyserons aujourdhui ne constituent souvent quun rejet du dualisme au cur de la conception cartésienne de lesprit et non de la conception elle-même.

2. Behaviorisme

Comme pour les deux autres grandes conceptions de lesprit, le behaviorisme se présente sous trois jours distincts en fonction de la relation quon voudra poser entre les typologies psychologiques et comportementales :

Comme nous avons déjà discuté brièvement du béhaviorisme éliminativiste, nous nen reparlerons plus ici pour plutôt nous concentrer sur les deux autres.

2.1 Le behaviorisme réductiviste de Hempel (behaviorisme philosophique).

Lunique tentative didentifier les éléments des typologies psychologique et comportementale au niveau du type a été défendue par les membres du Cercle de Vienne dans leur tentative de réactualiser la conception positiviste du savoir introduite par Auguste Comte. Selon cette conception du savoir, la psychologie doit ou bien être intégré au système de la science unifiée ou bien éliminée avec la métaphysique et les pseudosciences. La façon dintégrer la psychologie au reste de la science est définie davance par la conception positiviste-empiriste de la science : montrer que lensemble des énoncés de la psychologie peut être divisé en deux sous ensembles distincts :

(a) lensemble des énoncés observationnels, et

(b) lensemble des énoncés théoriques.

Dans le cas de la psychologie, les énoncés observationnels seraient des énoncés comportementaux (on peut observer le comportement) comme Paul gémit, Paul prend des aspirines, etc., alors que les énoncés théoriques (non-observables) seraient des énoncés psychologiques comme Paul a mal aux dents, Paul croit que la neige est blanche, etc. Mais il ne sagit pas simplement de déterminer quels sont les énoncés théoriques et observationnels de la psychologie : il faut aussi montrer

(1) que les énoncés comportementaux nacquièrent leur signification que par lobservation; et

(2) que les énoncés psychologiques acquièrent leur signification par leur traduction en un ensembles dénoncés observationnels; cest-à-dire,

Il est important de noter ici lasymétrie qui est ainsi posée entre les énoncés psychologiques et les énoncés comportementaux. Cette asymétrie est une version particulière, appliquée à la psychologie, de lasymétrie générale entre les énoncés théoriques et observationnels inhérente au projet positiviste. Cette asymétrie découle du fait que la conception du savoir développée par les positivistes et les empiristes logiques est une forme de fondationnalisme. Lasymétrie en question est en quelque sorte imprimé au coeur du fondationnalisme : certaines connaissances sont posées comme directement justifiées, dautres comme justifiées de manière dérivée. Qui dit " direct " et " dérivé de " pose nécessairement une asymétrie : quelque chose a telle propriété de manière directe, et quelque chose dautre la de manière dérivée.

Dans le cas qui nous intéresse, lasymétrie quand nous disons

Cette conception de la nature de lesprit fait face à plusieurs problèmes. Nous en soulignons deux.

(1). La définition pose quil y a un ensemble de gestes (tels et tels gestes) nécessaires pour vérifier si un individu quelconque a mal aux dents. Rien nest moins évident. Peut-être que Paul se fait aller les bras, que Marie fait des grimaces et que Stéphan, lui, un peu plus stoïque, ne fait rien de spécial. Peut-être direz vous que Stéphan est un déviant et que ses réactions ne comptent pas. Mais il existe peut-être un endroit dans le monde (il sagit dune expérience de pensée), beaucoup plus populeuse que le Québec, où les gens ne font jamais aucun geste spécial lorsquils ont mal aux dents. Faudra-t-il alors enlever la première clause de la traduction et nous considérer, nous, comme déviants.

(2). Lautre problème est associé à la relation entre les énoncés intentionnels et comportementaux. Prenons lexemple de Hempel :

 À la question " Quest-ce que tu as ? " X articule mots " jai mal aux dents "

Mais les individus répondront " jai mal aux dents " seulement sils ont lintention de dire la vérité. Imaginons que Paul est un jeune enfant et quil est absolument effrayé du dentiste. Répondra-t-il " jai mal aux dents " si sa mère lui demande " Quest-ce que tu as ? ". Il en serait de même pour un nombre indéfini de circonstances. Comment identifie-t-on ces circonstances ? En utilisant notre connaissance du sens du prédicat " avoir mal aux dents " et des énoncés dans lequel il apparaît et donc nous navons pas réduit les énoncés psychologiques puisque nous les présupposons pour identifier les circonstances comportementales pertinentes.

Ces deux problèmes sont reliés : il semble impossible de diviser le langage de la science de la manière prescrite, soit où tous les énoncés psychologiques dériveraint leur sens dénoncés comportementaux alors quaucun énoncé comportemental ne dériverait son sens de celui des énoncés théoriques.

Dune manière générale, on dit aujourdhui que la signification des énoncés théoriques informe celle des énoncés observationnels : les énoncés observationnels sont théoriquement chargés (theory-laden). En ce qui concerne la psychologie, ceci signifie que les énoncés comportementaux sont intentionnellement chargés. Il semble donc impossible de réduire les énoncés psychologiques aux énoncés comportementaux.

2.2 Le behaviorisme non réductiviste de Ryle.

Parce quils sont tous deux des philosophes analytiques de seconde génération, on identifie souvent à tort les behaviorismes de Hempel et de Ryle. Cette identification oublie que la philosophie analytique du milieu du siècle comprenait deux écoles rivales : les néopositivistes inspirés des travaux de Russell et du premier Wittgenstein qui proposaient ou bien des analyses conceptuelles réductives de divers énoncés (ordinaires ou scientifiques) ou bien des réflexions méta-philosophiques sur la pertinence ou la façon de faire ces analyses ; lautre école est celle des philosophes du langage ordinaire, inspirés des travaux de Moore et du second Wittgenstein qui étaient généralement hostiles au projet néopositiviste. Les philosophes du langage ordinaire ne croyaient pas en la possibilité de réduire les énoncés du langage ordinaire, comme ceux de notre psychologie du sens commun. Pour eux, les concepts du langage ordinaire ne se forment pas dunités suffisamment homogènes pour permettre la réduction des énoncés qui les contiennent (ils se regroupent plutôt selon des ressemblances de famille). La tâche du philosophe nest plus alors de réduire, mais bien de guérir la philosophie des maux qui résulteraient dun usage abusif du langage.

Ryle est un de ces philosophes. Il illustre le point de vue de cette école philosophique par son analyse linguistique de la notion desprit. Selon lui, les philosophes ont " inventé " tous les problèmes associés à lesprit parce quils ont confondu deux catégories conceptuelles : les concepts de dispositions et les concepts dobjets. Lorsquune personne dit que le verre est fragile, elle ne dit pas que le verre contient un objet spécial, la fragilité, qui se met en action et brise le verre lorsquil est frappé avec suffisamment de force : elle veut tout simplement dire que le verre se brisera sil est frappé avec suffisamment de force. De même, lorsquon dit dune personne quelle est honnête, on ne veut pas dire quelle possède en elle un objet spécial, lhonnêteté, qui se met en action dans diverses situations et lamène à se comporter de manière honnête. On veut simplement dire que la personne manifeste des comportements honnêtes dans diverses situations, notamment celles où lhonnêteté des gens est mise à épreuve. Pourquoi alors croit-on quune personne possède un objet spécial en elle, la douleur ou la croyance, que lorsquon dit delle quelle souffre ou quelle croit que la neige est blanche ? Tous ces objets spéciaux sont pour Ryle des fantômes dans la machine auxquels on prête une existence parce quon confond le discours dispositionnel avec le discours objectif. Ceci ne signifie pas cependant que lon puisse réduire le discours psychologique au discours dispositionnel. La typologie dont est fait le discours psychologique nest pas suffisamment homogène pour le permettre : les types regroupent les dispositions comportementales et les situations selon des ressemblances de famille trop complexes pour les exprimer autrement quavec le discours psychologique lui-même.


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