Théories de l’identité psychophysique

(Résumé #4, 9 février 2000)

PHI-1635, Philosophie de l’esprit, Université de Montréal

1. Théories de l’identité psychophysique

Neurologisme réducteur

La constitution ontologique de l’esprit s’épuise dans le cerveau et chaque type psychologique est identique à un type neurologique. Notre typologie psychologique équivaut alors à une typologie neurologique et peut être réduite à celle-ci en spécifiant les équivalences appropriées.

Neurologisme non réducteur

La constitution ontologique de l’esprit s’épuise dans le cerveau et chaque particulier identifié au moyen de la typologie psychologique pourrait en principe être identifié au moyen d’une typologie neurologique. Cependant la typologie psychologique représente l’unique moyen pratique pour saisir les propriétés cérébrales constitutives de l’esprit, et, par conséquent, la typologie psychologique ne peut pas être réduite à une typologie neurologique.

Neurologisme éliminativiste

L’esprit n’a aucune réalité ontologique quelle qu’elle soit, neurologique ou autre. La typologie psychologique est le fruit de notre imagination en l’absence d’un appareil conceptuel approprié pour décrire le cerveau au niveau d’organisation approprié. Il s’ensuit que la typologie psychologique sera éliminée en faveur d’une typologie neurologique ayant atteint sa maturité.

Note : Ce que nous nommons " neurologisme réductiviste " se nomme aussi théorie de l’identité (psychophysique) entre type (type-type identity, ou type-identity) ou encore théorie de l’identité (psychophysique) forte. Et ce que nous nommons " neurologisme non réductiviste " se nomme aussi théorie de l’identité (psychophysique) entre particuliers (token-token identity, ou token-identity) ou encore théorie de l’identité (psychophysique) faible.

La science progresse entre autres en posant des identités entre phénomènes. Par exemple :

Température d’un gaz = énergie cinétique moyenne des molécules du gaz

Eau = H2O

Ceci permet

(1) d’intégrer les différentes disciplines scientifiques

(2) de diminuer la taille de notre ontologie (diminuer le nombre de types de phénomènes dans le monde).

La thèse de l’identité psychophysique pose que des identités similaires pourront être définies entre des phénomènes psychologiques et neurologiques. L’exemple classique :

Douleur = décharge des fibres-C

Mais nous avons aujourd’hui des hypothèses beaucoup plus réalistes, par exemple Francis Crick dans The Astonishing Hypothesis, suggère l’hypothèse suivante 

Liage des caractères perceptifs = Synchronisation (autour de 40Hz) des ondes cérébrales générées par les centres nerveux analysant la scène.

Avant d’évaluer cette thèse, il faut en distinguer deux variantes :

2. L’identité psychophysique au niveau du type.

Il faut d’abord se souvenir que nous cherchons à établir une relation entre des typologies distinctes, soit des manières distinctes de parler d’une même substance, et entre les membres de ces typologies, soit des types psychologiques et neurologique.

Identitétype : Deux types membres de typologies distinctes sont identiques si, et seulement si, ils dénotent le même type d’objet, d’événement ou de substance.

Deux types entretenant une relation d’identité au niveau du type n’ont pas le même sens (intensionnellement distincts) mais dénotent un même type d’objet ou de substance dans le monde (extensionnellement identiques). Expliquons-nous. La différence entre l’identité intensionnelle et extensionnelle a été bien expliquée par Frege (étoile du soir = étoile du matin), mais demeurons avec des exemples provenant des sciences :

Les types ou les concepts " eau " et " H2O " sont distincts : l’un fait partie d’une typologie intuitive alors que l’autre fait partie d’une typologie scientifique. Dans notre typologie intuitive, la signification de " eau " est liée à ces concepts comme pluie, bain, etc. Dans la typologie scientifique, la signification de " H2O " est liée à des concepts comme oxygène, hydrogène, molécule, etc. Leur signification respective est donc distincte et c’est pourquoi l’on dit qu’ils sont intensionnellement distincts. Cela ne les empêche pas d’être identiques en ce sens qu’ils dénotent le même type de substance dans notre monde : celle que l’on retrouve dans nos lacs, qui tombe du ciel, etc. C’est pourquoi on dit qu’ils sont extensionnellement identiques.

Plusieurs objections sont formulées spécifiquement contre l’identité psychophysique forte. En voici deux :

1. Le chauvinisme

Objection : Supposons que la douleur est réalisée par la décharge des fibres-C. Ceci signifie que l’énoncé d’identité psychophysique " Douleur = Décharge des Fibres-C " est vrai. Puisqu’une identité vraie un jour est vraie toujours et partout (i.e., dans tous les mondes possibles), alors cela signifie que la douleur est identique à la décharge des Fibres-C toujours et partout. Imaginons maintenant que nous rencontrions un jour une créature qui ne possède pas de Fibre-C mais manifeste tous les critères comportementaux de la douleur (elle gémit quand on la blesse, grimace quand on la pince, etc.). Il semblerait bien chauvin de notre part de nier que cette créature ressent la douleur simplement parce que son cerveau est construit différemment du nôtre.

2. Réalisation multiple

Objection : L’identité psychophysique suppose que tous les états psychiques seront réalisés de la même manière sur le plan neurologique. Or il est raisonnable de croire que les mêmes états psychiques sont réalisés différemment chez les animaux de différentes espèces (réalisation multiple interspécifique). Il est aussi raisonnable de croire que, si on en donne une description suffisamment fine, les mêmes états psychiques seront réalisés différemment chez différents organismes d’une même espèce et chez le même organisme à différents moments (réalisation multiple intraspécifique). Il est donc impossible d’identifier type psychologique à un type neurologique.

Réponse possible (au chauvinisme et à la réalisation multiple interspécifique) :

Étant donné la transitivité de l’identité, la réalisation multiple montre qu’il est absurde de poser

Désir de manger le sandwich

=

Désir de manger le sandwich

=

=

X

¹

Y

Mais Lewis (1969) note que cette absurdité est ce même nature que celle-ci :

Le numéro gagnant

=

Le numéro gagnant

=

=

03

¹

61

Or cette absurdité se résorbe dès que l’on souligne le caractère relatif des prédicats concernés :

Le numéro gagnant la semaine dernière

¹

Le numéro gagnant cette semaine

=

=

03

¹

61

Est-ce que l’incohérence entre la réalisation multiple et la transitivité de l’identité ne se résorberait pas si on précisait le caractère relatif des prédicats psychologiques ?

Désir de manger le sandwich chez l’humain

¹

Désir de manger le sandwich chez l’oiseau

=

=

X

¹

Y

Il sera naturel à ce point de laisser à la biologie le soin d’identifier quels types de systèmes cognitifs pourront servir à la relativisation des prédicats psychologiques. La sélection naturelle " a construit " et regroupé les systèmes cognitifs et on peut dès lors penser qu’elle a produit des différences que voudra saisir la psychologie, ou du moins des différences dont la psychologie acceptera de s’accommoder.

3. L’identité psychophysique au niveau des particuliers.

Une relation d’identité plus faible semble plus appropriée, du moins pour certains types d’états psychiques, ce qu’on peut appeler l’identité au niveau des particuliers :

Identitéparticuliers : Deux types, membres de typologies distinctes, sont identiques si, et seulement s’ils ils dénotent le même particulier à chacune de leurs utilisations.

Cette relation d’identité est plus faible que la précédente en ce qu’elle n’exige pas des types qu’ils dénotent le même type d’objet, d’événement ou de substance. Elle requiert seulement qu’à chacune de leurs utilisations, les deux types dénotent le même événement particulier d’un type donné et ce, sans présupposer que le type soit toujours le même d’un usage à l’autre. Ainsi, pour un usage donné des types physique et psychologique X et Y,

La faiblesse de l’identité au niveau des particuliers permet de rendre compte de la possibilité qu’un état psychique donné soit réalisé de multiples façons. Soit :

L’identité psychophysique entre particuliers définit un matérialisme minimal. Cette relation faible est compatible avec le matérialisme mais elle confère à la psychologie un statut épistémique particulier par rapport aux autres sciences en lui donnant une autonomie quasi-absolue par rapport à celles-ci. Cette autonomie extrême est marquée par le fait que cette relation d’identité psychophysique permet que deux événements particuliers distincts décrits par le même type physique soient associés à deux événements particuliers de types psychologiques distincts. Elle permet par exemple que le type " la décharge des fibres C " dénote ma douleur au petit orteil et le désir de manger de la crème glacée à la pistache chez mon voisin.

Si cela était possible, alors une connaissance parfaite des états neurologiques d’un individu ne nous renseignerait aucunement sur leurs états psychologiques. La psychologie et la neurologie seraient deux sciences absolument indépendantes. Or d’aucuns jugent que cette indépendance absolue de la psychologie est beaucoup trop peu contraignante. D’autant plus qu’il est possible de définir une relation entre la psychologie et la neurologie telle que les connaissances neurologiques puissent informer notre savoir psychologique, et ce, sans rechuter dans le réductionnisme inhérent à l’identité au niveau des types. C’est justement ce que permet une relation un peu plus forte que l’identité au niveau des particuliers, soit la survenance (supervenience).

Survenance : Une typologie X survient sur une autre Y si, et seulement si, (1) chacun des membres de X dénote un événement qui peut être décrit par un membre de Y mais (2) chacun des membres de Y dénote au plus un événement décrit par un membre donné de X.

Ainsi, au schéma précédent décrivant l’identité au niveau des particuliers, il faut ajouter la précision suivante :

La survenance assure ainsi que tous les événements mentaux sont des événements physiques, ce qui représente une condition nécessaire du matérialisme, mais elle assure aussi que les caractères mentaux sont déterminés par les caractères physiques.

Si on se place au niveau général des typologies, la survenance implique en effet que tous les événements qui ne peuvent pas être discernés au moyen d’une typologie physique ne pourront pas non plus l’être au moyen d’une typologie psychologique.

Elle assure aussi qu’il n’y aura pas de modifications au plan physique sans modifications au plan psychologique.

La relation de survenance permet ainsi la réalisation multiple mais empêche l’autonomie extrême de la psychologie par rapport à la neurologie. Les problèmes les plus importants avec la survenance sont apparus comme des objections au fonctionnalisme. Nous y reviendrons en détail et verrons alors comment l’attaque contre le fonctionnalisme va atteindre jusqu’à cette thèse minimale (mais pas autant que l’identité faible) qu’est la survenance.


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